Les écrans

J’étais à l’épicerie, afin de m’acheter de quoi survivre pour les trois prochaines semaines. Depuis une semaine, je vis seul à mon chalet. Tant qu’à avoir une session en ligne, autant en profiter pour la passer dans un endroit agréable, n’est-ce pas? À l’épicerie donc, il me semblait plus difficile qu’à l’ordinaire de lire les boîtes et les descriptions des produits. Mais pourquoi?

J’ai toujours eu une vue excellente, et je comptais la garder. En conduisant au retour vers ma demeure, un peu d'introspection m’a révélé une potentielle cause de ma soudaine cécité. Je crois, sans avoir de preuves, que le temps passé devant un écran contribue à mes récentes difficultés oculaires.

L’école en ligne (que l’on appelle affectueusement “zoom university”) nous emmène à passer une quantité d’heures devant nos écrans qui aurait autrefois été qualifiée de malsaine. Dans la nouvelle norme, nous pouvons passer 8h par jour devant notre ordinateur et/ou tablette, épuisant nos yeux à la promesse d’un diplôme.

Bien que ce ne soit évidemment pas optimal, cette solution n’est pas dévastatrice. On peut se dire que, après un an, ça sera fini. Toutefois, certaines de nos mauvaises habitudes ressortent plus fortes de notre interaction prolongée avec la technologie. Je pense à notre habitude de manger devant des écrans.

Depuis ma jeunesse, j’ai tendance à manger devant un écran si je suis seul. Parfois, le matin, je déjeunais devant une émission. Si j’avais le choix en prenant une collation, j’écoutais une vidéo sur youtube. Dans une histoire plus récente et un monde encore normal, je lisais la presse le matin en mangeant mes toasts.

C’est particulièrement durant cette dernière semaine que j’ai remarqué que mon habitude était devenue malsaine. Je m’explique. En plus d’avoir de l’école en ligne, la majorité de mes projets et loisirs sont dépendants de l’ordinateur. Je programme (assurément pas sur une feuille de papier avec un crayon), je joue aux échecs (en ligne, car je n’ai autrement personne avec qui jouer) et je lis (kindle, ou tablette pour des articles scientifiques). Cela fait déjà beaucoup. Pour tromper la solitude (que j’ai choisie), je me suis aussi mis à écouter des vidéos en mangeant. Pour une journée typique, les seuls moments où je ne suis pas devant un écran sont les moments où je vais faire du sport! C’est ahurissant, quand on y pense. Et je ne crois pas être le seul dans cette situation.

En passant autant de temps devant un écran, il nous arrive plusieurs choses. Premièrement, nos yeux et notre cerveau se fatiguent. Il est excessivement difficile de se concentrer très longtemps, et les petits caractères n’aident certainement pas à mon mal de tête. Deuxièmement, nous perdons la beauté du moment présent. Par exemple, je n’apprécie certainement pas la nourriture que je mange si je la mange devant un écran. Mes sens sont surstimulés, et le goût ne remporte pas la bataille face à un youtubeur fétiche qui joue aux échecs. Troisièmement, notre volonté de faire autre chose diminue. Les écrans, c’est la voie de la dopamine facile; la nouveauté à un clic, le divertissement en un instant. Ainsi, nous sommes de plus en plus portés à nous tourner vers cette solution pour briser l’ennui et la fatigue, au lieu de trouver quelque chose à faire dans le vrai monde.

Ça ne fait qu’une semaine que je mène ce train de vie et je suis déjà épuisé. Mes yeux veulent presque sortir de mes orbites et, alors que j’écris ce texte, j’ai mal à la tête. Aujourd’hui, toutefois, j’ai passé moins de temps sur mon ordinateur. Je suis allé dehors longtemps. J’ai mangé en regardant le vide et en savourant mes patates. Il y a quelque chose de thérapeutique et méditatif à entendre le silence, et vivre avec lui. Alors si quelqu’un s’est perdu assez loin sur Internet pour arriver jusqu’ici, je lui recommande ceci: chaque jour, faire des efforts constants afin de “tirer la plug” et vivre sur quelque chose d’autre qu’un écran. Je me sens déjà mieux d’avoir reconnu mon problème et d’avoir fait un premier pas pour le régler; et maintenant, j’ai hâte à la suite.